Tatouage Magazine : Faisons un peu les présentations pour commencer. Que fais-tu quand tu ne tatoues pas ? Des hobbies, des passions, des loisirs ? Qui es-tu ?
Quand je ne tattoo pas je dessine et je peins, et si je ne fais pas l’un ou l’autre c’est que je passe du temps avec ma femme et mon fils, ou que je suis parti surfer. J’ai une relation particulière avec le sport, une sorte d’addiction. J’ai fais du motocross en compétition de mes 8 ans à mes 17 ans. J’ai arrêté suite à une blessure qui a mis du temps à être réparée. Après ça je me suis tourné vers le snowboard, puis le surf. Dans l’ensemble, je suis plutôt hyperactif du coup je ne laisse pas trop de place aux temps morts. Mais malgré cela les journées me paraissent toujours beaucoup trop courtes pour venir à bout de mon programme.
T.M : Tu as fait des études rapport avec le dessin ou tu fais partie de ces gens qui dessinent depuis toujours ?
Les deux ! Je passe beaucoup de temps à dessiner depuis que je suis gosse et j’ai vite compris qu’il fallait que j’en fasse mon métier. J’ai donc fait des études de graphisme; ça me plaisait , je pouvais créer de manière plus structurée. Mais à la sortie de l’école je n’ai pas poussé cette voie. Après de brèves périodes de stage en agence de pub j’ai compris que pour dessiner il fallait faire un autre job… En 1999 j’ai rencontré le collectif d’artistes 9eme Concept. Les 3 fondateurs avaient eux aussi un parcours d’école de graphisme et ont créé cette structure pour peindre et vivre de la peinture. Il travaillaient pour des marques mais pas pour faire du graphisme, ils proposaient le style de chaque artiste pour faire des collaborations. Je me suis rendu compte qu’il y avait un autre modèle et je me suis épanoui à leur coté.
T.M : À quand remonte ta première découverte du tattoo ?
J’écoutais pas mal de Punk Rock, je regardai les Crusty Demons of Dirt (les premières videos de FMX) et des videos de skate, le tatouage faisait partie du truc. Ce n’était pas si commun et ça concernait souvent des gens qui avaient un lifestyle alternatif. C’était Badass et ça me faisait rêver. Mais les premiers tattoos qui m’ont marqués visuellement je les ai découvert dans un Tatouage Magazine, c’était des grosses pièces en Polynésien. J’ai trouvé ça trop fort graphiquement avec en plus ce truc mystique qui s’en dégage, ça m’a de suite interpelé !
T.M : Généralement on est tatoué avant de vouloir tatouer les autres… Comment s’est passé ton premier tatouage ?
Et bien je suis l’exception à la règle car j’ai tatoué des potes avant de me faire tatouer. Je me suis auto tatoué ma première pièce, plus tard après avoir pratiqué sur les copains. Je faisais une expo de dessin et je me suis tatoué le nom de l’expo dans l’avant bras avant le vernissage : « jusqu’ici tout va bien ». Je trouve le sens de la phrase intéressant pour un premier tattoo.
T.M : La première fois où tu as eu LA révélation « quand je serai grand je serai tatoueur », tu t’en souviens ? Qu’est-ce qui t’a donné envie d’exercer ce métier ?
Le tattoo collait complètement au lifestyle de « rider » que j’idéalisais à l’époque. Mais cela a pris pas mal de temps avant que je me projette comme tatoueur. A mes débuts avec le collectif 9eme concept nous faisions entre autres des tatouages éphémères au feutre en soirée pour une marque de bière. J’ai adoré travailler au feutre sur la peau, je trouvais intéressant de jouer avec les formes du corps et j’étais à l’aise avec l’exercice. C’est à ce moment là que j’ai épluché les mags de tattoo et que je me suis intéressé de près à cette culture.
T.M : Depuis combien de temps est-ce que tu tatoues en professionnel ?
J’ai commencé à tatouer en 2000, je passais la saison de snow à Avoriaz et je tatouais mes potes saisonniers. Le reste du temps je travaillais sur des projets artistiques avec le collectif. J’adorais tatouer mais je ne me voyais pas faire ça à plein temps, je trouvais cela beaucoup trop dur et fatigant ! A partir de 2009 le tattoo a pris le dessus et après avoir fait le tour de quelques boutiques Parisiennes, je me suis rendu compte que mon profil d’OVNI n’intéressait personne. J’ai donc monté Bleu Noir Paris en 2010. Veenom (membre de 9eme concept) avec qui j’avais l’habitude de collaborer a été mon premier apprenti et il est rapidement devenu mon associé dans Bleu Noir.
T.M : Est-ce que tu es passé par un apprentissage après d’un tatoueur ?
J’ai été présenté à un tatoueur Parisien par Jerk 45 (un des 3 fondateurs de 9 eme Concept) qui était déjà très tatoué à l’époque. Le tatoueur en question (qui m’a demandé à l’époque de ne pas le citer) m’a donné les conseils de base sur l’hygiène et le matériel, il m’a permit de l’observer pendant ses séances et m’a donné quelques conseils techniques. J’ai fais mon premier tattoo sur un pote dans son studio, un tribal en ceinture en bas du dos, très en vogue à l’époque ! C’était hyper stressant, c’était aussi une première pour mon pote et il avait mal, en plus il devait se demander si je n’étais pas en train de le charcuter… je me souviens du son dans le studio au début du tattoo : Bombtrack de Rage Against the Machine, c’était parfait ! Je me sentais sous pression mais j’avais un bon feeling même si j’ai mis 3h pour faire les tracés. Je m’en suis bien sorti et du coup mes potes étaient tous chauds pour se faire tatouer, j’ai direct enchainé les tattoos.
T.M : Tes tatouages laissent apparaître des influences multiples : il y a du japonais, des motifs tribaux, de l’illustration ou des motifs d’Amérique du sud aussi… comment as-tu construit ce style mélangé qui est le tien ? Est-ce que tu t’es essayé à d’autres styles en tatouage avant de te spécialiser ?
Quand j’ai commencé, la demande des clients m’a amené à aborder le tribal, le japonais et le traditionnel américain, cela s’est mélangé à mes influences « street art ». J’ai toujours fait à ma sauce, sans recopier. Ces mélanges ont créé les fondations de mon style. Quand je dessine ou que je peins, je suis en introspection, je laisse aller. Parfois j’ai un plan mais il est très rare que je le suive, d’ailleurs mes créas les plus intéressantes sont toujours le fruit de l’improvisation. Par contre il m’arrive de recouvrir 5 ou 6 fois une toile avant d’arriver à un résultat qui m’intéresse. Les idées se bousculent et il y a trop de possibilités, j’ai du mal à me canaliser. C’est pourquoi j’essaie de ne plus peindre, j’y passe trop de temps. Le tatouage est de loin le médium artistique qui me correspond le mieux car j’ai une obligation de résultat. J’ai une responsabilité envers mon client. Cela me permet de maintenir un équilibre entre improvisation et maitrise.
T.M : Pourquoi le style ornemental ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de réaliser ce style de tatouage ?
Je n’ai pas choisi, cela c’est imposé à moi. Dessiner, créer c’est passer par des phases d’introspections et partir en improvisation avec de l’ornemental ça libère l’esprit. C’est un peu le miroir de l’inconscient.
T.M : Le style ornemental et le géométrique est riche en détails et en inspirations ethniques qui peuvent avoir une signification autre qu’esthétique… est-ce que tes clients ont connaissance de la signification des motifs qu’ils te demandent ou bien est-ce qu’ils te parlent d’eux et tu leur proposes un tatouage qui correspond à leur histoire ?
Je dessine mes propres motifs sans essayer de reproduire ce qui existe. Je ne cherche pas la signification dans les motifs. Certains me racontent l’histoire qu’ils veulent faire passer dans leur tattoo, d’autres me font une sélection de leurs pièces préférées et me demandent un mélange. Le début de séance est consacré au dialogue, cela me permet de cerner où je peux aller. C’est paradoxale car le synonyme d’ornemental est décoratif. Pourtant un tatouage est toujours beaucoup plus que ça. Pour certains le tattoo est une armure de protection, pour d’autres c’est une histoire, il y a toujours du sens et il est différent pour chacun.
T.M : Tu fais du free-hand ou tu dessines tout à l’avance ?
Je ne prévois rien à l’avance. Tout part de la discussion avec mon client. Je travaille en free hand pour créer les structures, les vagues, des répétitions de motifs qui suivent les formes du corps… Le free hand est le meilleur moyen de s’adapter parfaitement aux formes du corps. Pour les mandalas et autres motifs géométriques je pose des stencils. J’ai conscience que ce n’est pas facile de confier sa peau sans savoir exactement ce qu’on aura à la fin. Mais c’est une expérience enrichissante, il y a un vrai partage et le tatouage prend vie tout au long des séances. Pas de possibilité de demander l’avis de sa copine ou à son meilleur pote, il faut savoir ce qu’on veut, cette façon de travailler correspond à une clientèle qui a confiance en elle et en ses choix. Afin d’élargir mon public, depuis quelques temps je propose en plus des flashs des concepts full sleeve ou full back sur Instagram, dans ce cas il y a un plan de base et je l’adapte aux formes du corps.
T.M : Tu as des demandes précises en matière de tatouage (motif/emplacement) ou bien on te laisse carte blanche ?
Les gens me laissent souvent assez libre, ils viennent avec une idée de base et de placement et je créé en fonction.
T.M : Qu’est-ce que tu préfères dans ton métier ? La conception, la création, la co-création, les rencontres ?
Tout m’intéresse. J’adore la phase de création, l’échange d’idées avec le client, la mise place, le free hand, les tracés. Après il y a moins de surprises mais on commence à apprécier, le tatouage prend vie, on pose les détails, les ombrages ça devient vraiment esthétique. C’est un métier très gratifiant. Tous ces êtres humains qui font vivre mon art, le portent dans la peau et se promènent avec, c’est dingue !